Les investisseurs nord-américains, géants de l’immobilier mondial
À l’origine de l’écrasante majorité des sommes investies sur leur territoire, les investisseurs nord-américains sont aussi les plus actifs dans le monde. Depuis 2010, les sommes qu’ils ont engagées hors de leurs frontières approchent ainsi 1 100 milliards d’euros, soit environ 40 % de l’ensemble des investissements transfrontaliers. Ce premier rôle, les Nord-Américains l’ont conservé et même renforcé en 2024, avec une part proche de 50 %.
L’Europe demeure une cible prioritaire malgré un contexte de marché difficile (ralentissement de l’économie, incertitudes politiques, conflit russo-ukrainien, etc.). Les Nord-Américains y ont ainsi dépensé 36 milliards d’euros en 2024, soit près de 40 % de l’ensemble des investissements transfrontaliers réalisés l’an passé sur le marché immobilier européen.
Retour en force sur le marché français
La France est habituellement le troisième pays le plus prisé des investisseurs nord-américains en Europe, derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni. Moins présents en 2023 dans l’Hexagone, ils y sont revenus en force en 2024. « Totalisant 3,1 milliards d’euros, les montants engagés l’an passé par les Nord-Américains dans l’Hexagone ont bondi de plus de 150 % en un an, tandis que ceux des Français chutaient dans le même temps de 33 % » précise François Blin, Chief Business Officer chez Newmark. Représentant 42 % de l’ensemble des investissements étrangers en France en 2024, les Nord-Américains y ont ainsi conforté leur domination, devant les Britanniques et les Allemands.
En 2025, ils devraient encore jouer le premier rôle en France et en Europe. Le contexte leur est en effet favorable, avec un nombre potentiellement plus important d’actifs mis sur le marché, de meilleures conditions de financement, un taux de change plus avantageux et des prix immobiliers nettement corrigés depuis 2022. Certains Nord-Américains ont déjà commencé à en tirer parti, comme l’ont récemment illustré quelques opérations sur le marché londonien des bureaux ou leurs acquisitions de portefeuilles logistiques dans plusieurs pays dont la France.
Si les stratégies opportunistes et value-add resteront majoritaires, certains acteurs, parmi lesquels de nouveaux entrants, cibleront aussi des produits core. L’Europe devrait ainsi attirer davantage de capitaux privés. Quelques grandes fortunes américaines, issues notamment des secteurs de la finance et de la Tech, augmentent par exemple leur exposition à l’immobilier. C’est le cas du family office de Michael Dell, fondateur de la marque informatique éponyme, ou de Larry Ellison, cofondateur d’Oracle, qui a récemment acquis des bureaux à Londres.
Un modèle qui évolue
En 2024, les sommes investies en France par les Nord-Américains se sont très largement concentrées sur le segment de l’industriel (2,4 Mds €). Ils ont été bien moins présents sur le marché des commerces – même si Blackstone s’est emparé des boutiques du « Mandarin Oriental », rue Saint-Honoré. Sur celui des bureaux, ils se sont essentiellement illustrés par l’achat d’immeubles à transformer, tel celui acquis par Hines à Charenton pour le convertir en ensemble résidentiel à dominante étudiante.
La faiblesse des sommes récemment investies sur le marché français des bureaux est à souligner tant le bureau a longtemps été dans l’ADN des Nord-Américains. Entre 2010 et 2020, cette classe d’actifs concentrait encore 60 % de leurs investissements sur le marché français de l’immobilier d’entreprise, devant l’industriel (24 %) et les commerces (16 %).
Depuis, leur modèle a profondément évolué, qu’il s’agisse des types d’actifs ciblés ou de l’origine des fonds investis. « Initialement centrés sur les bureaux et investissant des capitaux issus d’Amérique du Nord, ces acteurs ont élargi leur champ d’action à l’ensemble des classes d’actifs et acquièrent, en France comme dans le reste du monde, des biens pour leur compte comme pour celui de fonds de nature et d’origines très variées. Analyser l’activité des investisseurs nord-américains en France revient ainsi à éclairer les grandes mutations du marché mondial » explique Emmanuel Frénot, Deputy Chief Business Officer chez Newmark.
La diversification, plus que jamais de mise
Jusqu’à présent, les stratégies de diversification des investisseurs originaires d’Amérique du Nord ont surtout bénéficié aux actifs industriels. Ces derniers représentaient 20 % de leurs investissements avant 2020 en France (toutes classes d’actifs confondues), contre 50 % depuis 2021 et même 77 % en 2024 ! L’an passé, cette part a été gonflée par la réalisation de six acquisitions de portefeuilles de plus de 100 millions d’euros. En 2025, l’industriel sera également la classe d’actifs la plus prisée compte tenu du nombre important de portefeuilles logistiques actuellement à vendre ou en cours de cession.
Parallèlement à cela, les Nord-Américains ciblent d’autres types d’actifs, revêtant une double casquette d’investisseur et d’opérateur. Ce changement est notable dans le domaine des résidences services, à l’image des opérations réalisées par Greystar et Hines. Les data centers suscitent aussi l’engouement : lors du récent sommet sur l’IA à Paris, le gérant d’actifs canadien Brookfield a par exemple annoncé vouloir consacrer 15 milliards d’euros à la construction de data centers en France. Enfin, largement développé en Amérique du Nord, le secteur du life sciences en est quant à lui à ses prémices en France, avec très peu d’opérations recensées. En 2022, Oxford Properties, branche immobilière d’OMERS, fonds de pension des employés municipaux de l’Ontario, s’était notamment illustré par l’achat, avec Novaxia, de « Biocitech » à Romainville.
Malgré l’intérêt qu’ils suscitent, les actifs alternatifs ne représentent encore qu’une part modeste des investissements nord-américains dans l’Hexagone (plus de 300 millions d’euros en 2024). « Sur le marché de l’alternatif, l’offre immobilière demeure très restreinte, limitant la capacité des investisseurs étrangers, américains notamment, à augmenter leurs engagements de façon significative » constate Emmanuel Frénot. Cette offre tend néanmoins à s’accroître. Sur le marché des résidences étudiantes, une dizaine d’opérateurs sont ainsi apparus en France depuis 2010, dont Uxco, majoritairement détenu par Brookfield. Sur celui du life sciences, plusieurs projets sont en cours de développement en Ile-de-France, où les surfaces de laboratoires et de bureaux associés tripleront d’ici 2030. « Les investisseurs internationaux bénéficieront ainsi de plus d’opportunités pour mener à bien leur stratégie de diversification. Les changements d’usage constituent aussi un gisement d’opportunités considérable compte tenu du manque de foncier disponible et de valeurs nettement corrigées, sur le marché des bureaux en particulier » ajoute Emmanuel Frénot.
La reprise des bureaux aux USA : de bon augure pour le marché français?
Malgré l’engouement pour l’alternatif, les biens « traditionnels » ne sont pas délaissés. Ils bénéficient même d’un certain regain d’intérêt des investisseurs nord-américains. C’est le cas des commerces, sur le segment des pieds d’immeuble « prime », de l’alimentaire et de la périphérie. S’agissant des bureaux, l’horizon est loin d’être tout à fait dégagé mais le contexte est moins négatif qu’il y a quelques mois. Aux Etats-Unis, les volumes investis en bureaux ont ainsi progressé de 20 % sur un an en 2024 tandis que l’activité locative s’est redressée. L’an passé, 37 des 50 plus grands marchés américains ont ainsi vu leurs volumes placés augmenter d’une année sur l’autre (+ 45 % à San Francisco, + 26 % à Manhattan, + 22 % à Dallas, etc.).
Si la reprise du marché américain ne permet pas de lever toutes les incertitudes entourant l’avenir des bureaux, elle atténue sans aucun doute la défiance des investisseurs. Ainsi, l’heure n’est plus à l’office bashing mais à une approche plus nuancée, ouvrant la voie à un retour des acteurs nord-américains sur cette classe d’actifs. « L’évolution du marché américain des bureaux influe nécessairement sur la façon dont les investisseurs issus de ce continent interviennent à l’échelle mondiale. Dans le contexte actuel, leur retour sur le segment des bureaux les conduira à privilégier les marchés disposant des meilleurs fondamentaux. Or, l’Ile-de-France offre d’indéniables atouts, tels qu’une grande profondeur de marché, un réseau de transports très dense et en constante amélioration ou un télétravail moins pratiqué que dans d’autres grandes métropoles mondiales » souligne François Blin.
De nombreuses opportunités sur le marché francilien des bureaux
Le marché francilien des bureaux offre en effet d’indéniables opportunités pour partie liées, comme aux USA, à la tendance au « flight to quality ». Les actifs les plus qualitatifs sont particulièrement prisés dans Paris QCA, où leur disponibilité limitée a conduit à une augmentation de 23 % en trois ans du loyer prime. L’évolution est encore plus positive pour les biens exceptionnels (« trophy assets »), avec un loyer top supérieur en moyenne de 6 % au loyer prime lors des 15 dernières années.
Les opportunités du marché francilien des bureaux ne se limitent pas au QCA. L’arrivée sur le marché de projets très qualitatifs permet aussi d’envisager de nouvelles hausses des loyers dans d’autres quartiers parisiens, sur lesquelles tablent notamment des investisseurs nord-américains. C’est le cas de Tishman Speyer et de son immeuble « Circle » dans le 15e (ex-Tour Cristal, en cours de restructuration), dont le succès prolongerait celui obtenu avec son projet « Odéon » dans le 6e. Enfin, les opportunités existent également en périphérie, sur un créneau value-add où se distinguent habituellement les investisseurs américains. Malgré des taux de vacance élevés, les fondamentaux locatifs s’y améliorent grâce au recul des nouveaux développements et à des écarts de loyers croissants avec Paris, qui facilitent les reports d’entreprises vers les communes de périphérie les mieux reliées aux transports.
“Les investisseurs peuvent ainsi tirer parti des valeurs décotées d’actifs tertiaires à revaloriser situés dans des zones géographiques disposant d’une réelle profondeur de marché. Ce « pari » des bureaux, certains investisseurs nord-américains, et plus largement étrangers, le feront sans nul doute en 2025 dans les secteurs établis de l’Ouest et les principaux hubs du Grand Paris” conclut François Blin.

